L’accent drôle

Drôle :
(petit Littré) s.m se dit d’un homme ou d’un enfant qui, ayant quelque chose de décidé, de déluré, ne laisse pas d’exciter quelque inquiétude.

Un documentaire pour la télévision

S’il fallait décrire une région par ses histoires, pour changer de la plaquette imprimée et des photographies, cela conviendrait au Nord et aux Flandres où les contes sont naturellement affaire de population ? Le caractère ici semble moulé dans ce désir de faire légende de tout et de rien. On pense au sud pour sa faconde méridionale, mais le parleur volubile est de partout. Et la voix du Nord quand même, c’est quelque chose… Plus qu’un titre ! Les accents, l’inflexion ou les timbres charrient des bouts d’existence. Le parler craquèle de dévouement brutal, comme le bon pain garde sur la blancheur des nappes des marques grossières, un ventre et de la sueur en mémoire.

Des histoires d’avant avec les visages d’aujourd’hui

Le film présente des extraits d’un spectacle en patois rouchi, Cafougnette et l’défilé accompagnés de portraits aujourd’hui. Portraits sonores entre autres, car les voix dans ce coin-ci font image. Une partie du film est consacrée aux conversations sur le vif. Pas d’entretien doctoral, on aime les lieux d’activité et de vie, les rues, les cafés, les marchés. Les extraits choisis visent plus à montrer le maniement d’une langue, ce plaisir oratoire et gestuel, plutôt qu’à reconstituer le tout en scène. Ils sont ponctués des présences d’une fanfare lilloise qui accompagna la tournée depuis la création en 1993. Petit spectacle, longue existence… Montage et filmage laissent à nu la narration, pas de plans de coupe intempestifs. Dans ce déroulement parfois forain, la savoureuse histoire se réinvente face au monde.

Zeph Cafougnette, c’est un drôle…

La référence du personnage populaire dans ch'nord. Il est mineur et de Denain. Ce pourrait être un supporter lensois aujourd’hui, arsouille, grande gueule, veinard ou malchanceux, celui par lequel arrivent des histoires… Cafougner, cafouiller… Le ratage peut faire partie des figures, et ce n’est pas sans une certaine fierté. On sait perdre ! Fiers ainsi d’être modestes, les gins du Nord.

Jules Mousseron

L’auteur est poète, même si le ton est celui de la revue ; poète-mineur mentionne-t-il avec humour. Ouvrier, écrivain, homme de scène… Sa formation autodidacte l’amène à tout faire. Dès treize ans, il travaille à la mine ; comme tout le monde, voisins, parents, amis. Et comme tout le monde, malgré une popularité considérable, il demeure mineur jusqu’à sa retraite, à Denain. Il restitue les tournures d’une langue physique, tranchée, rugueuse, rythmée. C’est écrit avec beaucoup de grandeur, modestement. Les gens aimaient Jules Mousseron parce qu’en parlant d’eux, il était drôle et confortait par le patois un si fragile amour-propre. L’humour se compose d’affection, c’est assez rare.

Changer d’image

Il se trouvera toujours des humoristes surdoués pour réduire le Nord à la grisaille et au charbon ou des esprits balourds pour s’étonner de la nomination au tourisme, d’une ministre, originaire du Pas-de-Calais ! Mais peu à peu, la communication fait son chemin : on déniche des paysages secrets, de la verdure et des villes, variés et variées. Y compris au-dessus d’Amiens ! Quelle surprise ! Le chômage n’a donc pas rayé toute vie. L’activité économique modèle de nouveaux territoires. L’imaginaire se cabre aussi et cherche un pays. La mémoire est l’expression d’une culture, le parler, l’humour, témoins des racines ouvrières, accompagnent ce regain d’identité. Et toujours, on parle de la chaleur des gens du Nord, d’une sollicitude spontanée, d’une gouaille particulière aussi. Se faire entendre fait partie de l’image…

Voir aussi : La bonne image.